Publié le 15 mai 2024

Vous avez l’impression que malgré vos efforts, vos choix de meubles et de décoration manquent de cohérence ? Le secret n’est pas une question de « bon goût » inné, mais d’éducation du regard. Cet article vous enseigne la « grammaire visuelle » fondamentale pour déchiffrer le langage caché des objets : comprendre les proportions, lire une ligne pure et reconnaître l’équilibre. En maîtrisant ces clés, vous ne choisirez plus jamais vos meubles par hasard, mais par conviction et compréhension.

Vous contemplez votre intérieur, un assemblage de meubles choisis avec soin, et pourtant, quelque chose cloche. Une chaise semble maladroite, une table de salon jure avec le canapé, l’ensemble manque d’âme. Cette frustration est commune chez les amateurs de décoration. On suit les tendances, on épingle des images inspirantes, mais le résultat final sonne faux, comme une phrase mal construite. Le réflexe est alors de chercher la bonne « recette » : le style scandinave, les couleurs à la mode, la règle des trois objets. Mais ces conseils, souvent superficiels, ne s’attaquent pas à la racine du problème.

Et si la véritable clé n’était pas d’apprendre des règles, mais d’apprendre à lire ? Car le design, avant d’être une question de goût, est un langage. Un langage avec sa propre grammaire, faite de proportions, de lignes, de tensions et de silences. Développer un « œil » pour le design, c’est acquérir la maîtrise de cette grammaire visuelle. C’est passer du statut de consommateur passif de tendances à celui d’observateur averti, capable de décoder pourquoi un objet est harmonieux, pourquoi une composition fonctionne, et pourquoi une pièce de mobilier traverse les décennies sans prendre une ride.

Cet article n’est pas un catalogue de styles à imiter. C’est un cours d’alphabétisation visuelle. Nous allons déconstruire ensemble les principes fondamentaux qui séparent un aménagement réussi d’un simple assemblage d’objets. Nous apprendrons à analyser la structure d’un meuble comme on lirait un poème, à comprendre l’impact d’un détail sur l’équilibre d’une pièce, et à distinguer l’intemporalité de l’éphémère. L’objectif : vous donner les outils pour ne plus jamais choisir un meuble par hasard, mais avec la certitude d’un regard affûté.

Pour vous guider dans cette démarche analytique, nous aborderons les concepts essentiels qui permettent de forger son regard, des proportions universelles aux subtilités qui distinguent les grands courants du design. Le sommaire ci-dessous détaille les étapes de cet apprentissage.

Le secret caché des plus beaux intérieurs : la règle du nombre d’or que vous pouvez appliquer chez vous

Avant même de parler de style ou de couleur, les intérieurs les plus harmonieux partagent un secret mathématique : ils respectent, souvent intuitivement, les proportions du nombre d’or (environ 1,618). Cette « divine proportion », présente partout dans la nature, est inconsciemment perçue par notre cerveau comme un gage d’équilibre et de beauté. Loin d’être un concept abstrait réservé aux architectes, ce principe est un outil puissant pour structurer un espace. Il ne s’agit pas de sortir sa calculatrice pour chaque décision, mais de comprendre la logique des rapports de taille pour créer une composition visuellement satisfaisante.

Le nombre d’or se manifeste souvent à travers la suite de Fibonacci (1, 1, 2, 3, 5, 8…), où chaque nombre est la somme des deux précédents. En décoration, cela se traduit par des associations de tailles qui « sonnent juste ». Un canapé occupant environ deux tiers (proche de 1/1,618) de la largeur du mur, un tapis qui délimite une zone proportionnelle au mobilier qu’il accueille, ou une composition de cadres au mur respectant un ratio de 3:5 sont autant d’applications de ce principe. L’idée est de créer une hiérarchie visuelle naturelle, où les éléments principaux et secondaires dialoguent dans des proportions harmonieuses, évitant à la fois la monotonie d’objets de taille identique et le chaos de proportions aléatoires.

Penser en termes de proportions plutôt qu’en termes d’objets isolés est la première étape pour développer son œil. C’est ce qui permet de passer de « j’aime cette lampe » à « cette lampe, par sa hauteur, complètera parfaitement le volume de ce fauteuil ». Pour vous aider à intégrer cette notion, voici quelques pistes concrètes pour appliquer le nombre d’or dans votre aménagement.

Votre plan d’action : appliquer la règle d’or chez vous

  1. Mesurez la largeur de votre mur principal et divisez-la par 1,618 pour trouver l’emplacement idéal du point focal (le tableau principal, la cheminée).
  2. Positionnez votre canapé de manière à ce que sa longueur représente environ 61,8% de la largeur du mur contre lequel il est placé.
  3. Accrochez vos tableaux et étagères à une hauteur où le centre de l’œuvre correspond à 1,618 fois la hauteur de votre meuble le plus proche (console, buffet).
  4. Créez des groupements d’objets décoratifs (vases, bougies) en respectant les proportions 3, 5 ou 8 éléments, inspirées de la suite de Fibonacci.
  5. Utilisez la spirale dorée comme guide mental pour organiser la disposition des objets sur vos étagères ou dans une bibliothèque, en plaçant les éléments les plus importants au centre de la spirale.

Savoir « lire » un meuble : l’art de reconnaître une ligne pure et intemporelle

Au-delà des proportions d’un espace, l’œil du designer s’attache à la qualité intrinsèque de chaque objet. « Lire » un meuble, c’est décomposer sa forme pour en comprendre la logique, la qualité et le potentiel de pérennité. Le premier indice est la « ligne pure » : un tracé clair, évident, qui semble aller à l’essentiel sans fioritures inutiles. Une ligne pure n’est pas forcément minimaliste ; elle peut être courbe, organique ou géométrique, mais elle est toujours intentionnelle et maîtrisée. Elle définit la silhouette du meuble et lui confère son caractère, qu’il s’agisse de l’arche gracieuse d’un dossier ou de la rigueur d’un piétement métallique.

Cette pureté de la ligne est indissociable de la qualité de fabrication. Un design ambitieux exécuté avec des matériaux médiocres ou des assemblages approximatifs perd toute sa force. C’est en observant les détails que l’on distingue une pièce de qualité d’une pâle copie : la finesse d’une soudure, la précision d’un assemblage en queue d’aronde, le grain du bois massif, ou la tension parfaite d’un revêtement en tissu. Ces détails témoignent du savoir-faire artisanal et de l’honnêteté des matériaux.

Gros plan sur les détails d'assemblage d'un meuble en bois massif français montrant la qualité artisanale

Comme le montre cette image, l’excellence se cache dans les jonctions. La manière dont les différentes parties d’un meuble se rencontrent en dit long sur l’attention portée à sa conception et à sa fabrication. Une pièce intemporelle est souvent celle où la forme, la fonction et la matière sont en parfaite adéquation.

Exemple concret : la chaise ‘A’ de Tolix

Créée en France en 1934 par Xavier Pauchard, la chaise Tolix est un cas d’école de la lecture d’un objet. Sa ligne est immédiatement reconnaissable et fonctionnelle. Pour distinguer un original d’une copie, l’œil exercé ne se fie pas qu’à la forme générale. Il cherche les indices du savoir-faire français : la qualité de la galvanisation, la précision des soudures par points, l’emboutissage profond du siège qui assure sa solidité, et l’angle exact des pieds qui garantit sa stabilité. Chaque détail raconte l’histoire d’un processus industriel maîtrisé, transformant un objet utilitaire en icône du design.

L’art de l’équilibre : comment un petit détail peut changer toute la perception d’une pièce

Un intérieur harmonieux n’est pas une collection d’objets parfaits, mais un écosystème en équilibre. Cet équilibre est souvent précaire et repose sur un jeu subtil de pleins et de vides, de textures lisses et rugueuses, de lignes droites et courbes. L’art de la composition consiste à créer une tension visuelle maîtrisée, un « point focal » qui attire le regard et organise le reste de l’espace autour de lui. Ce point focal n’est pas nécessairement l’objet le plus grand ou le plus cher ; il peut s’agir d’un simple détail dont la couleur, la forme ou la position vient « réveiller » une composition autrement trop sage.

Cette philosophie est très présente dans le chic parisien, qui transpose à la décoration un principe de la mode française : la puissance de l’accessoire. Dans un appartement haussmannien aux murs blancs et au parquet classique, une seule pièce forte – une suspension sculpturale, un fauteuil de couleur vive, un grand miroir doré – suffit à électriser l’atmosphère. Ce détail agit comme un point d’exclamation dans une phrase. Il ne domine pas, il ponctue. L’erreur du débutant est souvent de multiplier ces points forts, créant un « bruit » visuel où plus rien ne se détache. L’œil exercé, lui, sait que la force d’un élément dépend du « silence » qui l’entoure.

L’équilibre est donc une affaire de dosage. Il s’agit de savoir quand ajouter et, plus difficile encore, quand s’arrêter. Chaque objet doit avoir un rôle : certains servent de fond de scène, d’autres de personnages principaux. Le tableau suivant illustre comment différents types de détails, avec des exemples ancrés dans le design et l’art de vivre français, peuvent radicalement altérer la perception d’un espace.

Impact des détails décoratifs sur la perception d’un espace
Type de détail Impact visuel Exemple français Budget moyen
Suspension design Point focal immédiat Vertigo de Constance Guisset 700-900€
Arts de la table Élégance quotidienne Service Gien ou Christofle 300-500€
Pièce artisanale unique Âme et caractère Céramique Bela Silva 150-400€
Textile de qualité Chaleur et sophistication Plaid en cachemire 200-350€

Minimalisme scandinave, japonais ou californien : lequel est vraiment fait pour vous ?

Une fois les principes de proportion, de ligne et d’équilibre acquis, la question du style se pose différemment. Il ne s’agit plus de choisir une étiquette à copier, mais de trouver la philosophie qui correspond à votre sensibilité. Le terme « minimalisme », par exemple, recouvre des réalités très diverses. Comparer les minimalismes scandinave, japonais (souvent appelé « Japandi » lorsqu’il est fusionné) et californien est un excellent exercice pour affûter son regard, car leurs différences résident dans des nuances subtiles de matériaux, de lumière et de rapport à la nature.

Le minimalisme scandinave est synonyme de *hygge* (confort, convivialité). Il privilégie les bois clairs (pin, bouleau), les textiles doux (laine, lin), et une palette de couleurs neutres rehaussée de touches pastel. La lumière, rare en hiver, est maximisée par de grandes fenêtres et de multiples sources d’éclairage d’appoint. C’est un minimalisme fonctionnel et chaleureux. Le minimalisme japonais, issu de la philosophie *Wabi-Sabi*, célèbre l’imperfection et la beauté du temps qui passe. Il utilise des bois plus sombres (cèdre, bambou), des matériaux bruts (pierre, papier de riz) et des formes basses, proches du sol. L’espace vide (*ma*) est aussi important que les objets eux-mêmes, créant une atmosphère de sérénité et de contemplation. Enfin, le minimalisme californien est décontracté et organique. Il fait entrer la nature à l’intérieur avec des plantes abondantes, des matières naturelles (rotin, terre cuite, lin lavé) et une palette de tons terreux (sable, ocre, terracotta). C’est un style qui respire le soleil et la simplicité bohème.

Comprendre ces nuances permet de définir son propre « ADN déco » au-delà des clichés. Plutôt que de vous demander si vous êtes « scandinave », interrogez-vous sur votre rapport aux matières, à la lumière et à l’histoire des objets. La checklist suivante est conçue pour vous aider à identifier les grandes lignes de votre propre sensibilité esthétique, à la française.

Checklist d’audit : Définir votre ADN Déco

  1. Matières : Préférez-vous les matières brutes et naturelles comme le bois massif et la pierre (Style « Cap Ferret »), ou les finitions nobles et patinées comme le velours et le laiton (Style « Rive Gauche ») ?
  2. Organisation : Votre bibliothèque idéale est-elle méticuleusement rangée par couleur pour un impact graphique, ou un mélange savant de livres, d’objets et de souvenirs qui racontent une histoire ?
  3. Lumière : Êtes-vous attiré par la majesté d’un grand lustre central qui structure l’espace, ou par la douceur d’une multitude de lampes d’appoint qui créent des ambiances variées ?
  4. Héritage : Aimez-vous intégrer des meubles de famille et des pièces vintage qui ont une âme, ou préférez-vous partir d’une page blanche avec des créations contemporaines ?
  5. Couleur : Votre palette de confort est-elle une base neutre et monochrome (blancs, gris, beiges), ou assumez-vous des touches de couleurs profondes et audacieuses (bleu canard, vert forêt, terracotta) ?

Comment ne pas avoir l’air d’un touriste au Salon du Meuble de Milan

Développer son œil passe aussi par l’immersion dans les lieux où le design se fait et se défait. Le Salone del Mobile de Milan est l’épicentre mondial de la création mobilière. Y aller en simple spectateur, c’est risquer d’être submergé par un flot d’informations. Y aller avec un regard de critique, c’est une occasion unique d’entraîner son œil en conditions réelles, de repérer les futures tendances et de comprendre les courants qui animent le secteur. Pour un amateur français, c’est aussi l’opportunité de mesurer la place et l’influence de la « French Touch » sur la scène internationale.

Ne pas avoir l’air d’un touriste à Milan, c’est préparer sa visite. Cela signifie savoir distinguer le « Salone » (la foire officielle, plus institutionnelle) du « Fuorisalone » (le « off », un parcours vibrant à travers la ville dans des showrooms, des galeries et des lieux éphémères). Le Fuorisalone, notamment dans les quartiers de Brera et Tortona, est souvent le lieu où l’on découvre les jeunes designers et les créations les plus avant-gardistes. C’est là que l’on prend le pouls de l’innovation.

C’est également connaître les noms qui comptent. Au-delà des stars internationales, repérer la présence des designers français comme India Mahdavi, Patrick Jouin ou les frères Bouroullec permet de comprendre comment le design hexagonal s’exporte et dialogue avec d’autres cultures. Suivre les comptes Instagram spécialisés comme @thesocialitefamily ou @ad_magazine_fr pendant l’événement offre une curation en temps réel et une perspective française sur les milliers de nouveautés présentées. Enfin, une visite au Salon est incomplète sans un passage par les stands qui valorisent la création française, comme ceux du VIA (Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement).

Pour structurer votre parcours et maximiser votre apprentissage, voici un itinéraire type pour une immersion dans la French Touch à Milan :

  • Jour 1 : Concentrez-vous sur le Salone officiel. Repérez et visitez les stands du VIA et ceux des grandes maisons d’édition françaises (Ligne Roset, Roche Bobois, etc.).
  • Jour 2 : Explorez le Fuorisalone. Consacrez la matinée au quartier de Brera pour ses showrooms chics et l’après-midi à la zone Tortona, souvent plus expérimentale et prisée des jeunes designers français.
  • Jour 3 : Visitez les galeries de design qui ont une antenne à Milan, comme la Galerie Kreo ou la Carpenters Workshop Gallery, pour voir des pièces d’exception.
  • Post-Milan : Lisez les analyses des magazines spécialisés français comme IDEAT et Intramuros pour confronter votre perception aux analyses des critiques.

Reconnaître une pièce de design iconique : les indices qui ne trompent pas

Investir dans une pièce de design iconique est un acte qui va au-delà de la simple décoration ; c’est acquérir un fragment d’histoire de l’art. Mais dans un marché inondé de copies et de « réinterprétations », comment être certain de l’authenticité d’une pièce ? L’œil exercé ne se fie pas seulement à l’esthétique générale, mais mène une véritable enquête en quête d’indices matériels. La reconnaissance d’une icône est un processus qui engage le toucher, la connaissance des techniques de fabrication et une familiarité avec l’histoire du designer. Le marché du design étant en pleine expansion, avec un marché mondial des services de design d’intérieur atteignant 137,93 milliards USD en 2024, la distinction entre l’original et la copie devient un enjeu majeur.

Le premier indice est souvent la patine. Une pièce vintage authentique porte les traces du temps : un léger affaissement de la mousse, une décoloration subtile du tissu, une oxydation naturelle du métal. Ces « défauts » sont en réalité des signatures d’authenticité. Ensuite, il faut examiner les détails de fabrication. Les designers iconiques ont souvent innové avec des techniques spécifiques. Les lampadaires de Serge Mouille, par exemple, sont reconnaissables à leurs rotules en laiton caractéristiques qui permettent l’orientation des abat-jour. Le fauteuil Papyrus de Michel Boyer se distingue par sa structure tubulaire précise et le tressage particulier de ses sangles.

Enfin, la signature ou l’estampille de l’éditeur est un élément crucial, mais il faut savoir où la chercher et reconnaître les variations au fil des années de production. Apprendre à identifier ces pièces, c’est comme apprendre à reconnaître l’œuvre d’un grand peintre. Le tableau suivant vous guide dans l’identification de quelques icônes du design français, parfois moins connues du grand public mais très prisées des collectionneurs.

Ce guide vous donne des clés pour identifier des pièces françaises emblématiques, au-delà des classiques les plus évidents. Comme le montre cette analyse des pièces iconiques, chaque designer a ses propres « tics » de fabrication qui constituent autant de preuves d’authenticité.

Guide d’identification des icônes françaises méconnues
Designer Pièce iconique Indices d’authenticité Cote actuelle
Pierre Paulin Fauteuil ABCD Mousse intégrée d’un seul bloc, tissu jersey tendu sans coutures apparentes 3000-5000€
Joseph-André Motte Chaise 771 Piètement métallique en V, assise coque en contreplaqué moulé 800-1200€
Serge Mouille Lampadaires « Formes Noires » Rotules en laiton massif, abat-jour en aluminium repoussé, signature gravée 2000-4000€ (pour les rééditions)
Michel Boyer Fauteuil Papyrus Structure tubulaire en acier chromé ou laqué, sangles de cuir tressées 1500-2500€

Vous pensez aimer le style « moderne » ? Vous voulez sans doute parler du style contemporain

Dans le langage courant, les termes « moderne » et « contemporain » sont souvent utilisés de manière interchangeable pour décrire tout ce qui n’est pas classique. Pour un œil éduqué, cette confusion est aussi grande que de confondre le baroque et le rococo. Il s’agit de deux philosophies, deux périodes et deux esthétiques bien distinctes. Comprendre leur différence est une étape fondamentale pour affûter son vocabulaire et sa compréhension de l’histoire du design. Le style Moderne (ou le mouvement moderniste) est un courant historique précis, qui s’étend globalement des années 1920 aux années 1970. Il est né d’une utopie : utiliser les nouvelles technologies (acier, béton, verre) pour créer un design fonctionnel, démocratique et débarrassé de l’ornementation superflue. Son credo, « la forme suit la fonction », a donné naissance à des lignes géométriques, des formes épurées et une honnêteté structurelle.

Le style Contemporain, quant à lui, n’est pas un mouvement historique mais une désignation de ce qui se fait « maintenant », depuis la fin du XXe siècle (environ 1980) jusqu’à aujourd’hui. Par définition, il est en constante évolution. S’il hérite de la simplicité du modernisme, il s’en affranchit en réintroduisant la courbe, l’émotion, la couleur et le jeu. Là où le moderne était rigoureux et fonctionnel, le contemporain est plus fluide, expressif et parfois même narratif. Il explore de nouveaux matériaux (résines, composites) et de nouvelles technologies comme l’impression 3D.

Une analogie architecturale parisienne illustre parfaitement cette différence. Le Centre Pompidou (1977) est un chef-d’œuvre du modernisme tardif : sa structure est entièrement visible, ses tuyaux colorés exposent sa fonction. C’est un bâtiment qui dit ce qu’il fait. La Fondation Louis Vuitton (2014) est, elle, purement contemporaine : ses voiles de verre déconstruites créent une expérience sensorielle et poétique, où la forme prime sur la simple fonction. Cette distinction se retrouve dans le mobilier : Le Corbusier (moderne) est géométrique et fonctionnel, tandis que Philippe Starck (contemporain) est souvent ludique et surprenant.

Pour vous aider à naviguer entre ces deux univers, voici un trombinoscope des figures majeures du design français, classées par mouvement :

  • MODERNE (1920-1970) :
  • Robert Mallet-Stevens : Connu pour la Villa Noailles et un mobilier aux lignes cubistes strictes.
  • Eileen Gray : Pionnière avec sa table ajustable E-1027 et une architecture avant-gardiste.
  • René Herbst : Surnommé « l’homme de l’acier » pour ses structures tubulaires, comme la Chaise Sandows.
  • Charlotte Perriand : Collaboratrice de Le Corbusier, elle a insufflé une poésie fonctionnelle avec des pièces comme la Bibliothèque Nuage.
  • CONTEMPORAIN (1980-aujourd’hui) :
  • Philippe Starck : Célèbre pour son design narratif et démocratique, du presse-agrumes Juicy Salif à des hôtels entiers.
  • India Mahdavi : « La reine de la couleur », elle crée des espaces immersifs et joyeux comme le restaurant Sketch à Londres.
  • Patrick Jouin : Explore les technologies de pointe comme l’impression 3D avec sa chaise One Shot.
  • Matali Crasset : Connue pour son design ludique et modulaire, comme sa colonne d’hospitalité « Quand Jim monte à Paris ».

À retenir

  • Le design n’est pas une question de goût, mais une « grammaire visuelle » qui s’apprend en analysant les proportions, la ligne et l’équilibre.
  • La qualité d’un meuble se « lit » dans les détails de fabrication (assemblages, finitions) et la pureté de sa ligne, bien plus que dans son style.
  • Comprendre les philosophies derrière les grands courants (Modernisme, Minimalismes) permet de définir son propre style au lieu de simplement copier des tendances.

L’élégance silencieuse : comment investir dans un décor qui prend de la valeur avec le temps

Au terme de ce parcours, l’objectif ultime de l’éducation du regard est de parvenir à une « élégance silencieuse ». C’est un décor qui n’a pas besoin de crier son prix ou sa modernité pour être apprécié. Il tire sa force de la cohérence de ses choix, de la qualité de ses matériaux et de l’histoire qu’il raconte. C’est un intérieur qui, loin de se démoder, gagne en caractère et en valeur avec le temps. Investir dans ce type de décor est une stratégie à long terme, à l’opposé de la consommation effrénée de tendances éphémères. Le marché français, soutenu par un artisanat d’art et une histoire riche, est particulièrement propice à cette démarche, comme en témoignent les données de l’INSEE sur la classification des services de design qui montrent la stabilité de ce secteur.

Construire un tel intérieur repose sur une stratégie d’investissement réfléchie, que l’on peut visualiser comme une pyramide. La base de votre décor doit être constituée de pièces intemporelles et robustes, au design simple et à la qualité irréprochable. Ce sont vos fondamentaux : un bon canapé en lin, une table en bois massif, des rangements fonctionnels. Le milieu de la pyramide est réservé aux icônes du design, des pièces rééditées ou vintage dont la valeur est stable, voire croissante. C’est ici que l’on place un fauteuil Togo de Ligne Roset ou une lampe Pipistrello. Ces pièces sont la signature de votre décor.

Enfin, le sommet de la pyramide, la plus petite partie de votre budget, est dédié aux pièces d’exception : une œuvre d’art, une création d’artisan d’art (comme un Compagnon du Devoir) ou une pièce de galerie rare. C’est l’élément « coup de cœur » qui donne son âme à l’ensemble. La clé du succès est de savoir mixer ces niveaux et d’y intégrer l’héritage familial, dont la valeur sentimentale est inestimable. C’est ce mélange qui crée un décor personnel, riche et qui prend de la valeur, tant marchande qu’émotionnelle.

Voici un modèle de pyramide de l’investissement déco, adapté au contexte français, pour vous guider :

  • BASE (30% du budget) : Pièces intemporelles accessibles. Pensez à des marques comme AM.PM pour leurs canapés modulables en lin (800-1500€) ou La Redoute Intérieurs pour leurs meubles en bois massif (300-700€).
  • MILIEU (50% du budget) : Icônes rééditées ou vintage. Un fauteuil Togo de Ligne Roset, dont la valeur est stable depuis 1973 (3000-4000€), ou une lampe Pipistrello rééditée (500-700€) sont des investissements sûrs.
  • SOMMET (20% du budget) : Pièces d’exception. Il peut s’agir d’une œuvre d’un artisan d’art français, d’une pièce de galerie ou d’un meuble vintage authentifié d’un grand nom comme Prouvé ou Perriand, dont la cote ne cesse de monter.

En appliquant ces principes, vous parviendrez à construire un décor à l'élégance silencieuse qui prend de la valeur avec le temps.

L’étape finale, et la plus personnelle, est de faire confiance à votre œil désormais éduqué. Entraînez-le au quotidien, analysez ce qui vous entoure, visitez des expositions, et commencez à construire un intérieur qui n’est pas seulement beau, mais qui est juste.

Rédigé par Antoine Lefèvre, Critique de design et ancien galeriste, Antoine Lefèvre partage depuis 15 ans son œil expert sur le mobilier et les objets du 20ème siècle et contemporains. Il se spécialise dans l'art d'éduquer le regard pour faire des choix décoratifs affirmés et intemporels.